Bons soignants, bons malades
13 ans que je suis diagnostiquée, et que je combats cette maladie, pas un jour de repos, pas un jour de répit, pas une seconde sans cet énorme poids sur mes épaules. J’ai l’impression d’avoir attaqué une course effrénée dans une boucle temporelle et pourtant, je n’ai que très rarement baissé les bras, peut-être par instinct de survie, par validisme, par croyance erronée de jours meilleurs, par envie de vivre aussi ma meilleure vie, mais finalement, peu importe les raisons. Quand on tombe malade, chacun cherche les moyens de continuer, de s’accrocher qui lui conviennent. Il n’y a pas de compétition, de hiérarchie du mauvais au bon malade, il y a juste toi, à un moment donné, dans un espace donné. Le reste n’a plus vraiment d’importance.
Les violences médicales
Il s’avère que ces moments où j’ai baissé les bras coïncident plus ou moins aux périodes où le milieu médical m’a soit laissée tomber avec des erreurs de diagnostic, avec des analyses « psychomystiques » à la freudienne, soit violentée physiquement ou psychologiquement. Le pire, à mon sens, a été quand un chirurgien digestif de Paris m’a dit que je cherchais des opérations de convenance. C’est vrai que se faire enlever les organes ou des morceaux d’organes tous les deux ans en enterrant, par la même, toute possibilité d’enfanter ne peut se faire que par convenance. Les paroles de cet homme ont été d’une violence inouïe, mais le point culminant de l’horreur a été son regard de dégoût sur ma personne, celui-ci résonnera en moi jusqu’à la fin de mes jours. Je parle souvent, sur twitter ou dans mes articles, de ces violences thérapeutiques, non pas parce que je suis une harpie vengeresse, mais parce qu’elles existent et qu’elles persistent dans un milieu médical universitaire qui n’a pas encore pris conscience du poids de l’empathie dans une prise en charge réussie. Entre patriarcat, préjugés genrés et préjugés ethniques, il reste peu de place à l’analyse objective d’une pathologie. Comment peux-tu réellement prodiguer des soins à une personne quand ton premier réflexe est de penser que les femmes se plaignent tout le temps ou que tu fais face à un cas sérieux de syndrome méditerranéen ? Ce n’est même pas envisageable ! Il y a un vraiment un dysfonctionnement énorme dans la prise en compte des malades chroniques.
Sortir de la spirale de la violence
Alors, comment sortir de cette spirale de violences conjointes puisqu’il est clair que la violence mène à la violence et que nous retrouvons d’un côté le groupe des soignants et de l’autre celui des malades ? Ces dernières années ont été un véritable parcours du combattant pour avoir des soins de qualité, j’ai eu à plusieurs moments l’impression d’être une cellule souche ou un rat de laboratoire, que mon corps n’était pas rattaché à mon esprit. Je ne peux pas compter le nombre de fois où des examens invasifs ont été effectués sans me considérer en tant que personne. Lors d’un coloscanner, la manipulatrice a répondu à ma grimace de douleurs avec un laconique « généralement, les gens n’ont pas mal pendant cet examen » et oui, mais les « gens » n’ont pas forcément mes atteintes et ne sont pas moi. Cette systématisation est ce qui a fait prendre un retard conséquent à la connaissance de notre maladie. L’analyse psychologique d’une pathologie physique ne permet pas la mise en place d’une recherche scientifique offensive et encore moins un espace “sérénisé” de compréhension mutuelle entre les soignants et la patiente.
Néanmoins, en 13 ans, j’ai pu voir une certaine évolution dans mon rapport médecins/patiente. Je suis passée de « Nous ne connaissons que très peu votre maladie » à « nous connaissons très peu votre maladie, mais nous allons nous battre avec vous ». Vous allez me dire que du coup il est étrange d’être toujours aussi incisive contre le milieu médical, mais ce discours est assez novateur, encore trop peu répandu parmi les soignants et ne concerne en général que des services bien précis. Il m’a fallu lutter, mais je pense avoir enfin trouvé les personnes correctes. Pour en arriver là, j’ai mis de côté la légende urbaine qui voudrait laisser croire qu’il n’y a que de bons soignants et que de mauvais malades. J’ai cherché, j’ai contredit, j’ai changé de médecins, de centre thérapeutique et j’ai surtout arrêté d’écouter les conseils des associations de patients. Ce qui marche pour l’un ne fonctionnera pas forcément pour l’autre. Un bon soignant pour moi ne le sera pas forcément pour vous. Il ne faut pas avoir peur d’exprimer, de penser que la situation actuelle n’est pas bénéfique à notre parcours de soin. Nous avons le droit et je déclarerais même le devoir de prendre la gestion de notre maladie à bras le corps.
Bons soignants, bons malades
Tout ça pour dire que j’ai eu la chance il y a 10 ans de tomber sur un chirurgien-gynécologue complètement investi dans mon cas et cela avec empathie. Il a fait ce qu’il pouvait avec ce que la science lui fournissait comme données et avec le matériel à disposition. Cet homme est à la retraite depuis bientôt deux ans, mais il est parti en s’assurant que je serais toujours suivie par des personnes et des services sérieux et bienveillants. Depuis 2 ans, j’ai le bonheur d’être prise en charge par trois professeurs de l’Hôpital Lyon Sud. L’un est chirurgien digestif, un autre chirurgien-gynécologue et le dernier radiologue, tous sont extrêmement concentrés sur mon cas, il n’y a pas de jugement, d’interprétations psychologiques de ma symptomatologie. Ils m’écoutent, ils échangent, ils ne prennent aucune décision sans en avoir discuté préalablement avec moi et surtout quand ils me regardent, je sens la compassion transparaître et cet ultime point est d’une douceur que vous ne pouvez même pas imaginer. Je suis redevenue une personne à part entière pourvue d’un esprit d’analyse, d’un esprit critique. Ils font aussi avec ce qu’ils ont, car cette maladie ne se soigne pas et les scientifiques ne savent toujours pas l’expliquer. Quelles sont les causes ? Comment la définir ? Quel traitement adopter ? Il n’y a pas de médecine magique, mais quand celle-ci se fait dans le respect du malade, alors le terme soin prend tout son sens.